Histoire des pouvoirs en Europe occidentale, XIIIe-XVIe siècle – Patrick Boucheron
Patrice Boucheron
Collège de France
Année 2017-2018
Histoire des pouvoirs en Europe occidentale, XIIIe-XVIe siècle
Fictions politiques (2) : nouvelles de la tyrannie
Les fake news sont de fausses nouvelles : premier bilan d'étape
La circulation des fictions transmédiatiques et la novellisation (Matthieu Letourneux, Fictions à la chaine. Littératures sérielles et culture médiatique, 2017)
Ceux qui gagnent (The West Wing), ceux qui perdent (The Wire) : en quoi la fiction politique est-elle politique ?
La Novellisation, « genre contaminée » (Jan Baetens, Poétique, 2004) : produits dérivés, auctorialité dégradée
Novella, jeune pousse et avvenimenti : l'événement est ce qui advient à ce qui est advenu (Pierre Laborie)
La fiction politique éclaire l'actualité, c'est-à-dire ce que nous sommes en train de devenir
« Que porai-je de nouvel dire ? » (Froissart, Froissart Le Joli Buisson de Jonece) : la tristesse du déjà-dit (Jacqueline Cerquiglini-Toulet, La couleur de la mélancolie. La fréquentation des livres au XIVe siècle, 1991)
Nouvelle, cri, rumeur et clameur : quand le jeune plant renouvelle le champ de la littérature (Nelly Labère, Défricher le jeune plant. Étude du genre de la nouvelle au Moyen Âge, 2006)
Quatre impératifs pour la nouvelle : vérité, exemplarité, oralité, actualité
Réactualiser la fraiche mémoire, dévoiler l'obscène
Des Cent Nouvelles Nouvelles bourguignonnes (1462) à l'Heptaméron de Marguerite de Navarre (1545), ou comment désenchanter le grand récit de la Renaissance française
Ce qui fait le genre : migrations textuelles (Roger Chartier) et architextualité (Gérard Genette), le cas des Mystères urbains
Qu'est-ce qu'une chute ? La production du novus
Boccace et les formes médiévales de la brevitas : Cento novelle, o favole o parabole o istorie che dire le vogliamo
« Ce sont donc les hommes de condition moyenne (di mezzano stato) qui seront notre objet » (Francesco Bonciani, Leçon sur la composition des nouvelles, 1574)
Le motto comme facétie ascendante, la beffa comme farce condescendante
Le fourreur Ganfo dans la nouvelle de Sercambi, ou la fragilité ontologique des faibles : Va via, tu se' morto
Le survivant au pouvoir : la novellisation des dominants comme une altération qui n'affaiblit pas
Une ascension sociale contrariée, puis châtiée : le cas de Giovanni Gherardi da Prato, novelliere novellisé
Le passé sédimenté du Paradis des Alberti : 1425, 1389, 1350, 1258
« Aujourd'hui, ces seigneurs sont devenus des tyrans cruels » (Décaméron, X, 7)
« Il n'est pas utile de raconter ce qu'il en fut de la venimeuse et pestifère rage qui dressa les Guelfes contre les Gibelins dans les temps passés, puisque, de nos jours encore, on peut voir, à travers toute l'Italie, les traces et les vestiges… » (Giovanni Gherardi da Prato, Le Paradis des Alberti)
L'acquettino, ou l'insurrection poétique contre l'humanisme civique (Antonio Lanza, Polemiche e berte letterarie nella Firenze del primo Quattrocento, 1971)
« Car ça commence toujours avant… » : le Novellino, ou Libro di novelle e di bel parlar gentile
La profondeur du temps passé, l'horizon rêvé du bon gouvernement
Potente imperadore Federigo : deux Frédéric, un seul spectre impérial
« Dire combien il fut craint serait une grande affaire : bien des gens le savent » (Novellino, 84), Ezzelino da Romano, ou les origines sanglantes et grotesques de la tyrannie
« Messire Ezzelino avait à son service un conteur auquel il faisait conter des histoires pendant des longues nuits d'hiver » (Novellino, 31)
Walter Benjamin, « Le conteur » (1936), et la chute du cours de l'expérience : chaque information n'a de valeur « qu'à l'instant où elle est nouvelle » mais il n'en est pas de même du récit, « il ne se livre pas »
Une lecture poétique et politique de Dante, Ossip Mandelstam et le chant 33 de l'Enfer, « …une de ces délicieuses horreurs qu'on se marmonne avec contentement… »
Les deux agonies d'Ugolin, ou l'indétermination du politique : « dans les ténèbres de la tour de la Faim, Ugolin dévore ou ne dévore pas tous ses cadavres aimés, et cette oscillante imprécision, cette incertitude, est l'étrange matière dont il est fait. Ainsi l'a rêvé Dante, avec deux agonies possibles, et ainsi le rêveront des générations à venir » (Borgès, Neuf essais sur Dante)
Machiavel, lui aussi, face à l'indétermination des temps : frapper les esprits par quelques « rares exemples de lui-même, semblables à ceux que l'on raconte à propos de messire Bernabò de Milan » (Le Prince, 21).